La célèbre marque anglaise est la dernière à perpétuer la tradition des roadsters avec son modèle qui n’a pas changé de look depuis 1936. Un record de longévité unique dans l’histoire automobile.
A Malvern Link, au sud de Coventry, flotte un parfum d’éternité dans cette vieille usine en briques construite sur une colline. Morgan est le dernier constructeur encore en vie à perpétuer la tradition britannique des roadsters. Les petites sportives Riley, Triumph, MG…ont disparu. Mais depuis 113 ans, la marque Morgan résiste et poursuit son chemin. Fils de pasteur, le fondateur Henry Frederick Stanley Morgan a fait le succès de l’entreprise en 1909 avec ses voitures à trois roues qui présentent alors l’avantage d’être légères, pour la conduite …et le porte monnaie, car exemptées de taxes.
Puis en 1936, c’est son rejeton, Peter, qui lance le fameux roadster, toujours au catalogue aujourd’hui ! Il lui donne alors un nom un peu abscons : le « Four-Four », pour 4 roues et 4 cylindres sur le nouveau moteur qui remplace le petit bicylindre de moto. En 2020 la Morgan Plus Four est montée en puissance sous le capot en passant d’un vieux Ford de 155 ch à un 2 litres turbo BMW de 255 ch la propulsant à 240 km/h avec un 0 à 100 km/h en 4,8 secondes. Mais sa conception, elle, n’a pas changé : la Morgan reste aujourd’hui la seule voiture au monde fabriquée en bois !
Un incroyable travail artisanal dans ces ateliers d’un autre âge où il faut deux jours pour assembler une armature cintrée en frêne, un bois très flexible qui absorbe étonnamment les chocs des crash-tests. Ensuite, à coups de marteau, la carrosserie en aluminium, découpée à la cisaille, épouse les galbes du bâti en bois de l’habitacle avant d’être clouée dessus ! Le tout est au final boulonné sur un chassis-plateforme lui aussi en aluminium depuis 202. Et non plus en acier, pour gagner à la fois en poids et en rigidité pour une meilleure tenue de route.
Chaque Morgan fabriquée à la main nécessite une quinzaine de jours pour sa construction. A l’intérieur de ces ateliers de haute couture automobile, 150 artisans perpétuent immuablement cet anachronique mariage de la mécanique et de la menuiserie. Dans une atmosphère feutrée fleurant bon le copeau où seul le crissement des rabots sur le frêne rompt le silence. Autre scène insolite : pour empêcher que la voiture soit mangée par des insectes ou des champignons, son armature en bois est plongée auparavant pendant 12 heures dans un bain spécial qui la protège ensuite à vie !
Mais l’endroit le plus étonnant s’est longtemps situé dans un vieux hall en briques éclairé par une verrière où les clients venaient prendre livraison de leurs voitures. Étrangement, au dessus du porche ouvert était clouée… une chouette ! Sortilège de sorcellerie ? Vieux remède de rebouteux ? Vous n’y êtes pas. Ce rapace au regard perçant a servi d’épouvantail pour éviter que des oiseaux ne pénètrent à l’intérieur et lâchent des crottes sur les carrosseries patiemment lustrées ! Il suffisait d’y penser. Mais Malvern Link est bien le seul endroit au monde où une usine automobile a eu recours à un oiseau de nuit pour préserver la propreté de ses autos toutes neuves. Sacrés Anglais !
Chaque année, une petite forêt de 70 frênes se transforme donc en plus de 700 voitures de rêve. La moitié est exportée, et la France en achète une soixantaine par an(86 370 € pour une Plus Four, 109698 € pour la 6 cylindres 3 l de 335 ch) via des importateurs comme Beaumont Automobiles à Paris. Marque iconique de l’art de vivre des gentlemen drivers, Morgan fait donc plus que jamais figure de vestige de la culture anglaise.
Même si en 2019, la famille Morgan en proie à des difficultés financières a dû en céder le contrôle tout en restant minoritaire. Charles Morgan, le petit fils du fondateur a été évincé à la suite du rachat par l’italien Investindustrial qui a sorti depuis la marque d’un mauvais pas. Car les frères Bonomi, propriétaires de ce fonds d’investissement sont passionnés d’automobile. C’est déjà eux en 2012 qui avaient volé au secours d’un autre joyau de la couronne britannique en péril en rachetant 37,5 % d’Aston Martin.